Ma démarche picturale est multipolaire et tente de faire la synthèse entre diverses influences. D'une part une recherche très formelle, un goût pour les compositions géométriques, les formes simples inspirées du constructivisme et des recherches sur la couleur menées par Kandinsky ou Joseph Albers et d'autre part, par une approche plus émotionnelle et lyrique, comme on la rencontre chez Mark Rhotko ou Alfred Manessier; avec de temps à autre une incursion dans le domaine de la géométrie symbolique, proche de l'esprit du peintre indien Raza...
La couleur, en tant qu’énergie parlant à l’être intime par le biais des émotions et des sens, peut-elle être utilisée pour construire à elle seule l'espace?... Mes compositions sont des propositions en réponse à cette interrogation. Le jeu des espaces positifs et négatifs, la juxtaposition des plans colorés qui s’affrontent, se croisent, se superposent, interfèrent les uns avec les autres, tentent d’élaborer un paysage mental, de créer un espace intérieur symbolique où les formes géométriques émergent comme des trouées, des échappées spatiales, sortes de zones de passage architecturant le champ pictural, pour nous mettre en contact avec quelque chose d’intangible, qui vibre dans un mouvement chromatique, qui se diffracte et éclate ou bien se cristallise dans une immobilité silencieuse.
"Il est donc clair que l'harmonie des couleurs doit reposer uniquement sur le principe de l'entrée en contact efficace avec l'âme humaine". Kandinsky.
(Du Spirituel dans l'art et dans la peinture en particulier).
Mon goût pour le papier remonte à ma formation initiale en tant que créatrice textile. Il y a entre ces deux matières, un lien très fort, de par les fibres végétales qui entrent dans leur composition, par l'infinie diversité des textures et des aspects possibles, la variété du toucher et par le côté souple et aisément maniable, qui se prête à toutes sortes d'utilisations et de transformations. C'est aussi un matériau qui peut laisser filtrer la lumière, permettant de jouer avec les superpositions et les transparences. Je l'utilise teint et marouflé sur toile dans mes peintures. Libre, flottant, découpé, voir torsadé dans mes oeuvres en papier et mes installations.
Ce que je cherche à faire partager au-travers de mes installations n'est pas du domaine de l'intellect, mais de celui des sens, il y a le désir de provoquer une réaction à la fois physique et émotionnelle, l'oeuvre est créée pour entrer en "résonance" avec le spectateur, pour stimuler son ressenti. Si il se pose la question "qu'est-ce que cela signifie" alors c'est que le but est manqué. Mes oeuvres se refusent à dire, elles souhaitent qu'on vibre avec elles, en même temps qu'elles oscillent dans le vent et jouent avec la lumière. Certaines d'entre elles sollicitent même directement la participation physique du spectateur, comme pour "Apparitions" ou "Starsystème".
Ce sont des tentatives d'évasion, d'effraction dans l'espace et la réalité ordinaire. Peut-être est-ce pour cela que le miroir y est souvent présent, car il crée l'illusion, diffracte le monde, en déplace les limites, il est à la fois passage et frontière, en même temps qu’il ouvre sur un autre univers, il le ferme simultanément. Il réfléchit l'environnement, le moindre changement de lumière, le moindre mouvement, le stable et l'instable, tout s'y perd, s'y dédouble, ricoche. Miroir qui me retourne ma question et la démultiplie à l'infini. Le miroir est une toile, c'est un piège tendu au spectateur.
L'utilisation de celle-ci dans certaines de mes installations s'inscrit dans le prolongement de ma recherche picturale qui porte essentiellement sur la lumière et la couleur. La lumière étant une dématérialisation de la couleur ou l'inverse, la couleur une matérialisation de la lumière, il me semble intéressant d'en expérimenter les deux aspects. La couleur-lumière permet de s'immerger totalement en elle, d'en faire l'expérience physique et spirituelle, de communier en quelque sorte avec son essence. Chaque couleur étant porteuse d'une vibration particulière, elle va générer en nous un état en correspondance avec elle.
Nous sortons de l'état contemplatif que nous procure la toile pour entrer dans le champ des états modifiés de conscience; nous entrons en "communion" avec la couleur.
En ce qui concerne ma fascination pour la couleur, j'ai été influencée par des artistes aussi divers que les peintres Paul Klee, Wassily Kandinsky, Henri Matisse, Alfred Manessier, Mark Rothko, Aurélie Nemours ou l'architecte Luis Barragan. Pour la lumière, par les oeuvres de James Turrell, Olafur Eliasson ou les créations du designer Ingo Maurer. Quant à mon goût des rythmes et des compositions géométriques, je crois qu'il me vient en partie de mes racines africaines et de mon admiration pour les motifs des tissages Aschanti du Ghana...
Les sculptures modulaires sont nées d’un désir de sortir du cadre de la toile et de structurer la couleur dans l’espace, afin de lui conférer une autre dynamique.
L’introduction de la troisième dimension dans mon travail, m’amène à aborder l’aspect architectural de la couleur ; comment celle-ci influence la lecture que nous avons de l’espace. Comment la couleur, le plan, la lumière, affecte la perception que nous avons d’un objet ; comment notre intellect se l’approprie pour en faire un tout cohérent.
Ce qui m’interpelle tout particulièrement, c’est l’exploration du champ qui se situe entre l’illusion créée par l’agencement coloré de l’objet et sa réalité tangible. Dans ce champ particulier, je m’exerce à brouiller les pistes, à développer la complexité de son apparence, à mettre en évidence ses multiples aspects.
A la différence des objets quotidiens, dont la cohérence nous apparaît comme évidente, mes assemblages sont des constructions modulaires et ludiques, d’une apparente simplicité dans les formes, dont toute la complexité réside dans la façon dont la couleur circule dans l’ensemble en le morcelant, en interférant dans son unité ; rendant par cela même, l’objet insaisissable dans sa globalité.
Cette étrangeté de l’objet ainsi provoquée, interroge le regardeur. Comment,l’angle sous lequel nous l’observons, la lumière ambiante, le contexte environnant, modifient la perception que nous en avons, le rendant à chaque fois différent, l’imprégnant d’une sorte de radiance intérieure, lui conférant un pouvoir presque magique, voir totémique. Une tentative plastique, de mise en contact du regardeur avec son popre sentiment du sacré.
Jocelyne Santos